Biographie

Lévon Tutundjian naît en 1905, à Amassia, en Asie Mineure, dans une famille cultivée, mère institutrice, père professeur de physique-chimie. Tutundjian en gardera une grande appétence pour toutes les disciplines scientifiques, qui deviendront source d’inspiration. 

Son père, bon violoniste, lui enseigne également le violon, instrument qu’il continuera à pratiquer toute sa vie. Il s’initie, dès 14 ans, à la peinture, puis à la céramique, à l’Ecole des Beaux Arts d’Istanbul.

Fuyant à l’âge de 17 ans le génocide arménien, il est recueilli au monastère arménien de l’île de San Lazzaro à Venise, où il complète sa formation.

Sa vocation d’artiste étant déjà ancrée, il rêve de rejoindre Paris, capitale des arts. C’est en 1924 qu’il y arrive et trouve un premier travail de céramiste.

1924-1925

Tutundjian rencontre, très peu de temps après son arrivée à Paris, les artistes Ervand Kotchar, d’origine arménienne, puis, par son intermédiaire, le géorgien David Kakabadzé, leur aîné. 

L’influence sur lui de ces deux artistes va être considérable, tant sur son expression plastique, que sur sa capacité à tester de nouvelles techniques, telles que tachisme, aérographe, et sculpture murale en trois dimensions. 

Les premières œuvres de Tutundjian sont d’une grande diversité. Il s’essaie au figuratif, au cubisme, au collage. Mais déjà, la spécificité de son « langage » émerge, et rend ses œuvres facilement identifiables.

Sans Titre, 1926, encre de Chine et lavis sur papier

Souvent il « noie » ses dessins, toujours précis et rigoureux, dans un tachisme coloré, mélange de diverses oxydations du papier. Puis, rapidement, apparaissent dans ses gouaches et aquarelles, des fonds réalisés avec la technique de l’aérographe, qui, associée à des nuées de points, lui permet de tendre vers un univers poétique, irréel, peut-être « sur-réaliste ». 

A partir de 1926 

Dès 1926, il se tourne vers l’abstraction géométrique et organique. Ses dessins à l’encre de chine sont nombreux et toujours d’une exécution parfaite ; il joue avec les lignes, les demi-lunes, les cercles, et, là encore, ses œuvres ne ressemblent en rien à celles d’autres artistes.

 « La géométrie n’est jamais rigide, ni stricte, et semble plutôt sensible et onirique. Tous ces traits, verticales, cercles sont tracés à la main, sans règle ni compas ; les lignes vibrent … » (Gladys Fabre, Tutundjian, Editions du Regard, Paris, 1994).

Sans titre, 1926, gouache sur papier, 22,2 x 28,2 cm, collection privée

Autour de 1928

C’est essentiellement en 1928 qu’il réalise ses « reliefs », sculptures murales en trois dimensions.

Avec une extrême économie de moyens, il crée, sur une base en bois, de couleur grise ou noire, des œuvres à partir de coupoles en fer, de tiges, de tubes, de cylindres.

« Tutundjian utilise un vocabulaire restreint de formes, souvent modulaires, déclinées dans des tailles et des positions diverses, il joue sur le positif et le négatif des coupoles inversées, ou le plein et le creux des cylindres. Le rythme des volumes circulaires s’oppose à celui des lignes… » (Gladys Fabre, id.)

Bien que de petites dimensions, la monumentalité de ses « reliefs » s’impose aisément au regard.

Ce sont ces œuvres, et son implication dans la création du mouvement Art Concret, qui vont permettre à Tutundjian d’être repéré par ses pairs les plus en vue de l’époque, et lui ouvrir l’accès à plusieurs manifestations artistiques avant-gardistes en Europe.

Hélion écrira à propos de son ami Tutundjian : « L’exposition à la galerie Bonaparte, a fait une violente impression sur le petit monde de personnes que tourmentait un art nouveau. Ses œuvres ne ressemblaient à rien que l’on connût ici. Je pense témoigner de l’admiration que lui portaient alors des artistes devenus depuis très célèbres… ». On pense bien sûr à Giacometti, Arp, Calder, Miro, Van Doesbourg,  etc… Et les ressemblances entre les œuvres de ces artistes et celles de Tutundjian sont parfois frappantes.

Des années 1930 à 1959

En 1932, Tutundjian démissionne du mouvement Abstraction-Création, et s’oriente entièrement vers la figuration surréaliste. 

En opposition radicale avec ses premiers travaux, ses nouvelles peintures sont la plupart du temps très colorées, fortement « remplies » avec une iconographie très diversifiée.

Sur la base d’une grande maîtrise technique, il utilise souvent le procédé de la représentation du tableau dans le tableau, comme Magritte ou De Chirico à la même époque.  

La deuxième guerre mondiale et son lot de souffrances et d’horreurs remettent en cause la hiérarchie des préoccupations ; bien qu’apatride, Tutundjian est mobilisé ; il sera rapidement blessé. De retour, il se consacrera essentiellement, jusqu’à la fin de la guerre, à la céramique pour faire vivre sa famille. 

L’évolution vers le surréalisme a été vécue par Tutundjian comme une progression naturelle, une nécessité de revenir à « plus d’humain », dans une sorte de synthèse symbolique et métaphysique.

Il cherche aussi à récapituler son parcours en réintégrant la période géométrique, les paysages de son Arménie natale, dans l’œuvre contemporaine surréaliste.

Mais, adhérant difficilement au dogmatisme des « papes » du surréalisme, comme Breton, il ne pourra se fondre au sein du mouvement ; il se trouvera en conséquence marginalisé.

Ce qui aura un impact déterminant et dommageable sur « sa carrière ».

1959-1968

Délaissant le surréalisme, il revient, à partir de 1959, à l’abstraction.  

Jusqu’à son décès en 1968, il produit de nombreux dessins, souvent « pastellisés », des toiles ainsi que quelques reliefs, renouant avec son anticonformisme et sa sensibilité des débuts.